TOUT LE MONDE IL EST BEAU, TOUT LE MONDE IL EST GENTIL ?

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier,
vice-président du GBO/Cartel, publié le 17/11/2023.

Quand la relation d’autorité est pathogène, la bienveillance est souvent thérapeutique.

Il était ce qu’on appelle un mauvais sujet. Intelligent et doué d’une force peu commune, Jean avait accumulé les années de prison. Au départ pour pas grand-chose, il avait brisé la vitre d’un boulanger pour voler un pain et nourrir ses frères. Pour ce forfait et un peu de braconnage, il avait été condamné à cinq ans de bagne, que des tentatives d’évasion prolongèrent à 19 ans. À sa sortie, errant, chassé de partout, il trouva l’hospitalité chez Mgr Myriel, qui lui offrit de bon cœur le gîte et le couvert … des couverts en argent qu’il ne put s’empêcher de voler. Quand les policiers le ramenèrent chez l’ecclésiastique, le saint homme prétendit lui en avoir fait don et y ajouta deux chandeliers du même métal. Jean Valjean avait toujours été considéré comme un paria, tant de bonté pour lui le bouleversa et il voua désormais sa vie à la générosité et à l’altruisme.

Si je vous donne cet exemple, c’est qu’il m’arrive souvent de rencontrer des patients enfermés dans un rôle qu’on leur a assigné. Nous avons un jour accueilli une latino-américaine qui avait fait la “mule”, passeuse de drogue. Ma cousine, visiteuse de prison, l’avait connue alors qu’elle était incarcérée à Bruges et nous avait demandé de l’accueillir à Bruxelles le temps qu’elle organise le retour dans son pays. Mon épouse lui a donné les clés de la maison et l’a laissé circuler où bon lui semblait. Pendant des années, elle nous fut reconnaissante de cet accueil et elle vit aujourd’hui une vie parfaitement normale dans son pays. Dans le même ordre d’idées, je connais un confrère qui, lorsqu’il prenait un patient toxicomane en charge, lui disait d’emblée qu’il avait le droit de lui mentir. Ce préliminaire paradoxal mettait le patient devant ses responsabilités, ce n’était pas le docteur, ni le médicament qui allaient le sortir du chaos, c’était d’abord lui.

Il n’est pas insignifiant que la relation médecin-malade soit étudiée avec grand sérieux en vue d’une inscription au patrimoine immatériel de l’humanité. On est loin de l’intelligence artificielle et des algorithmes.

Dans un univers où mensonge et triche sont des moyens de survivre, le patient trouve souvent plus facile de se comporter en victime passive de ce qui lui arrive plutôt que de prendre activement ses responsabilités. Du côté du soignant, la méfiance de prime abord est un mauvais réflexe qui nuit à l’établissement d’une relation empathique. Les attitudes morales et culpabilisantes n’aboutissent qu’à renforcer le déni où le patient se réfugie. Cela est vrai pour les drogues, l’alcool, la cigarette, mais aussi pour les maladies chroniques qui nécessitent que le patient modifie son comportement. Nous sommes tous découragés devant la patiente de 120 kilos qui jure qu’elle ne mange rien (docteur, un verre d’eau me fait grossir !). Et pourtant, de petites modifications dans l’environnement peuvent déclencher un changement d’attitude salvateur. Dans ce combat, il est primordial de laisser le choix au patient.

Il y a le bon, mais il y a aussi la brute et le truand …

Les concepts de santé globale sont particulièrement utiles pour comprendre les dynamiques du changement. Prendre en compte tout à la fois les relations affectives, la motivation, la sensation d’être utile et les valeurs spirituelles constitue un puissant outil pour renforcer la santé mentale et physique des individus. Au cœur de cette problématique, le généraliste et sa relation avec le patient sont souvent l’élément dynamique du changement. Il n’est pas insignifiant que la relation médecin-malade soit étudiée avec grand sérieux en vue d’une inscription au patrimoine immatériel de l’humanité. On est loin de l’intelligence artificielle et des algorithmes.

Mais je vous entends réagir contre cette description à l’allure idyllique. Ne nions pas la réalité, la violence envers les prestataires de services ne cesse d’augmenter. Parmi les endroits les plus exposés, il y a les services d’urgence. Souvent, les patients y attendent des heures et, sur leur chaise inconfortable, voient passer avant eux d’autres patients arrivés bien après eux. Il leur semble injuste que la régulation des services d’urgences doive se faire selon un tri et comprennent mal que leur atroce mal de dents pèse moins qu’une douleur dans la poitrine. Les experts s’accordent à dire que la première règle à respecter, c’est d’expliquer avec bienveillance, une bienveillance dans ce qui est dit mais aussi dans ce qui est proposé. Pas toujours simple quand on constate qu’un gros facteur d’insécurité est la surcharge des services d’urgence combinée à l’épuisement professionnel des soignants débordés et à fort risque de burn-out, sans oublier l’utilisation inadéquate de ces services par des patients pressés et stressés qui vivent à l’heure de l’instantanéité et du clic sur Google.

Il y a deux conclusions à tirer de ces considérations. La première répète combien la bienveillance est un outil puissant aux mains des soignants et en particulier des généralistes. La seconde nous ramène inlassablement aux conditions de travail et à l’environnement de soin, un combat que nous devons mener malgré sa complexité et sans nous contenter de “yaka”. Le GBO n’aime pas les formules populistes : pour certains, c’est une faiblesse mais, pour qui se confronte au réel, c’est une force.