
Ce « Grain Ă moudre », publiĂ© le 11/06/2025, est un billet d’humeur issu des rĂ©flexions du Dr Lawrence Cuvelier, prĂ©sident du GBO/Cartel, mis en forme par le Dr Axel Hoffman. Il tĂ©moigne des opinions personnelles de leurs auteurs (et n’engagent qu’eux), sans nĂ©cessairement reflĂ©ter la position du GBO/Cartel.
Nos autorités souffriraient-elles d’un “tropisme”, affection consistant à voir du “trop” partout, par exemple dans les prescriptions ou les certificats ?
Voilà bien une vingtaine d’années que les ados, dans leur insatiable fringale d’hyperboles, ont remplacé le mot “très” par le mot “trop” : « docteur, j’ai trop mal », « j’ai trop besoin d’un certificat ». Toujours à l’écoute du peuple (bien qu’avec un certain décalage), certains politiciens ont adopté cette terminologie et accusent les médecins, en particulier les généralistes, coupables de complaisance, de prescrire “trop” : trop d’incapacité de travail, trop d’inhibiteurs de la pompe à proton, trop d’antidépresseurs. “Trop” est apparemment employé ici de manière plus orthodoxe dans son sens de “en quantité excessive” mais trop par rapport à quoi ? En fait ce “trop” ne correspond en rien à de la médecine basée sur des évidences, ni même à un concept scientifique ou à la réalité de la pratique, il ne réfère qu’à une réaction subjective, voire affective dans un contexte comptable. Le choix du terme “trop” s’explique peut-être par l’excellente rentabilité communicative d’un discours davantage destiné à susciter une “réaction primaire” qu’à stimuler la recherche de sens à un phénomène interpellant.
Faire porter aux généralistes le chapeau d’un budget malade dans une société pas bien dans sa peau et dans ses comptes, c’est “trop” !
C’est trop injuste !
Au syndicat, nous considérons ce genre d’accusation comme une outrance et nous préférons nous demander pourquoi 75% des médecins prescriraient “trop”. Les explications possibles se bousculent. Médecins mal formés ? Corrompus ? Overbookés ? Il est vrai qu’écouter pourquoi le patient ne digère pas ce qui lui arrive prend plus de temps que prescrire un IPP ou renouveler celui préconisé “à vie” par un endoscopiste. Autre gamme d’explications, les patients sont vraiment malades, ils ont peut-être des véritables raisons de déprimer ou d’avoir besoin d’un arrêt de travail, et le “trop” dénoncé devient un “beaucoup”, un mal nécessaire. Sur un troisième registre, le “trop” repose sur des considérations budgétaires, le “trop” est l’abréviation de “trop cher ”. Il y a une part de vrai dans chacune de ces explications, en proportion variable selon qu’on soit médecin, malade ou gestionnaire. Tout cela mérite une exploration sérieuse. Mais quoi qu’il en soit, la phrase « Les médecins prescrivent trop » ne mérite qu’une réponse « Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme… En variant le ton (…) ». Dommage que le temps me manque, il y aurait une jouissance profonde à adapter la tirade du nez de Cyrano en réponse aux accusations portées sur les généralistes, ces marauds, ces faquins (chiche ?).
Nous prescrivons moins que les hollandais, si souvent cités en modèles par nos autorités. Nos prescriptions d’IPP sont en baisse. Exemples parmi d’autres. Sans aucun doute y a-t-il encore des améliorations à apporter à nos pratiques, nous en sommes conscients. Mais, à coups de phrases simplistes, faire porter aux généralistes le chapeau d’un budget malade dans une société pas bien dans sa peau et dans ses comptes, c’est “trop” !
PS : Si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à vous emparer du « chiche » sur la tirade du nez.