
Droit du patient à consulter les annotations personnelles du médecin : notre recours en annulation rejeté par la Cour constitutionnelle
Flash-info 44/25, publié le 16/07/2025
Comme nous vous en faisions part dans notre Flash-info du 08/03/2024 (Modification de la Loi sur les droits du patient : quel impact sur votre pratique ?), la modernisation de la Loi du 22/08/02 relative aux droits du patient, entrée en vigueur le 04/03/24, implique entre autres que le patient peut désormais avoir accès aux annotations personnelles que le prestataire de soins a consignées dans son dossier médical (seules ‘les données concernant des tiers n’entrent pas dans le cadre de ce droit de consultation’). A l’initiative du GBO, le Cartel (ASGB – GBO – MoDeS) s’était alors joint au recours en annulation de cette disposition qui ôtait la confidentialité des notes personnelles des prestataires, introduit par APPELPsy auprès de la Cour constitutionnelle. Celle-ci vient malheureusement de confirmer cette disposition en rejetant le recours que nous avions introduit.
Pourquoi le Cartel a-t-il soutenu ce recours visant à ce que les notes personnelles du médecin restent confidentielles ?
Auparavant, le droit du patient de consulter son dossier médical (et d’en recevoir une copie) ne portait pas sur les notes personnelles du médecin car, bien que celles-ci soient consignées dans le dossier patient, elles étaient soumises à un régime dérogatoire. Cette exception ayant été supprimée dans la modernisation de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, le Cartel (ASGB – GBO – MoDeS) s’est donc joint au recours introduit par APPELPsy (l’Association professionnelle des psychologues) auprès de la Cour constitutionnelle.
En introduisant ce recours en annulation partielle, nous savions que la partie était loin d’être gagnée d’avance. A fortiori dès lors que l’Ordre des médecins, dans ses observations adressées le 13/04/23 au Ministre de la Santé, avait estimé que « cette notion (ndlr : de notes personnelles) devrait être supprimée de la loi relative aux droits du patient », rejoignant ainsi l’avis de la Commission fédérale ‘Droits du patient’.
Il nous semblait néanmoins indispensable de mettre tout en œuvre pour que les notes personnelles du médecin (dans lesquelles, par exemple, il s’interroge, suppute, énonce divers diagnostics possibles, qualifie une attitude psychologique pas toujours utile à révéler qui figerait le patient dans un diagnostic restrictif à un moment donné) restent confidentielles. Parmi nos motivations, citons :
- Les annotations personnelles sont utiles et importantes pour l’organisation et la réflexion des médecins, mais ces suppositions, idées, ou réflexions du praticien ne sont pas toujours pertinentes à communiquer dans le cadre de la continuité des soins.
- Elles sont destinées à un usage strictement personnel du praticien, relèvent du domaine de la vie privée de celui-ci dans la mesure où elles incluent des données sur la manière dont il mène son activité professionnelle. À ce titre, nous pensons qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une ingérence que dans le respect de conditions strictes.
- La suppression de l’exclusion des annotations personnelles du droit de consultation des patients :
- pourrait être préjudiciable à ces derniers car elle aurait pour conséquence d’inciter les praticiens à limiter leur prise de notes, voire même à ne plus consigner ces annotations personnelles dans le dossier du patient, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur la qualité des soins prodigués et donc sur le droit à la santé du patient.
- irait au-delà de l’objectif poursuivi par la mesure. D’autres mesures moins attentatoires auraient pu permettre d’atteindre l’objectif poursuivi, en clarifiant la notion d’annotation personnelle par exemple.
- s’apparente à une lacune législative contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination car, en ne prévoyant aucune mesure alternative pour les praticiens qui considèrent que certaines annotations ne doivent pas être consultables par le patient, le législateur n’a pas tenu compte des spécificités de certaines pratiques médicales par rapport aux autres professionnels de santé.
Une évolution qui consacre un droit d’accès complet du patient à son dossier médical mais maintient la possibilité de recourir à l’exception thérapeutique
En rejetant notre recours en annulation partielle le 10 juillet 2025, la Cour constitutionnelle a donc confirmé que les patients avaient le droit de consulter l’ensemble de leur dossier médical, y compris les « notes personnelles » rédigées par les médecins et autres prestataires de soins. Seules les données relatives aux tiers contenues dans son dossier échappent à son droit de consultation et de copie.
La Cour a donc considéré que cette mesure était raisonnablement justifiée, dès lors que ces annotations constituent des données de santé personnelles relevant du RGPD, et qu’aucune différence essentielle ne justifie un traitement distinct selon les professions.
Néanmoins, la Cour constitutionnelle souligne que, en vertu de l’article 11, 3°, de la loi du 6 février 2024), le professionnel des soins de santé peut toujours invoquer l’exception thérapeutique s’il considère que la consultation de ses annotations personnelles par le patient causerait manifestement un préjudice grave à la santé de ce dernier (par exemple si elles contiennent des hypothèses qui n’ont pas encore été vérifiées et dont la consultation causerait manifestement un préjudice grave à la santé du patient).
L’exception thérapeutique permet à un professionnel des soins de santé de :
- communiquer de manière graduelle les informations qui risqueraient de causer un préjudice grave à la santé du patient.
- à titre exceptionnel et à condition d’avoir consulté à ce sujet un autre professionnel des soins de santé, ne communiquer temporairement aucune information au patient.
Dans les deux cas, le professionnel des soins de santé doit :
- informer la personne de confiance désignée par le patient qu’il fait usage de l’exception thérapeutique
- ajouter une motivation écrite au dossier du patient.
- vérifier régulièrement si le préjudice manifestement grave pour la santé du patient est toujours présent. Dès que ce préjudice disparaît, l’exception thérapeutique prend fin.
Concrètement, cette évolution consacre un droit d’accès complet du patient à son dossier médical, tout en maintenant une protection encadrée lorsque la santé du patient pourrait être compromise par la consultation de certaines annotations.
Notez que le professionnel dispose d’un délai de quinze jours pour traiter la demande d’accès et décider de l’éventuel recours à l’exception thérapeutique. Même en cas d’exception thérapeutique, le patient conserve la possibilité de consulter son dossier de manière indirecte via un autre professionnel de santé désigné par lui.