Le revers de la médaille

Flash-info 10/24, publié le 25/01/2024

Le Dr Pierre Drielsma, administrateur de longue date du GBO/Cartel et son actuel trésorier, vient de recevoir la décoration spéciale de prévoyance de 1re classe en reconnaissance des services rendus dans le cadre de l’assurance-maladie. Une réception en grande pompe à l’INAMI mais surtout, une manière élégante d’honorer un médecin généraliste investi depuis tant d’années dans la cause syndicale pour défendre et représenter avec brio et passion ses consœurs et confrères généralistes au sein des différents cénacles de l’INAMI et ailleurs.

Le GBO/Cartel remercie très sincèrement son fougueux et infatigable soldat Pierre, fidèle au GBO, à la cause de la médecine générale et de la 1re ligne depuis tant d’années, et espère qu’il continuera encore longtemps à mener les combats du GBO … la fleur au fusil !

Vous trouverez ci-dessous ce que lui inspire cette marque de reconnaissance :

Après une quarantaine d’années de bons et loyaux services dans les lieux de concertation de l’Institut National d’Assurance Maladie Invalidité, je passe enfin du statut de soldat de 2e classe à celui de première classe. Enfin car, même si je n’y pensais pas, j’avais reçu la médaille de soldat de 2e classe en 2007, en compagnie du Dr Milan ROEX (ASGB/Cartel) qui avait quant à lui reçu ce même jour sa première classe… J’ignore donc comment fonctionne les compteurs à l’INAMI mais ce doit être fort subtil.

Je me souviens, à l’époque, m’être interrogé sur la pertinence de ma présence à ses agapes[1]. Jean-Paul Sartre avait refusé le Nobel de littérature par opposition aux distinctions officielles, mais Albert Camus l’avait accepté. Évidemment, le Nobel, c’est tout autre chose… mais le processus mental est le même… toute proportion gardée.

Quand je discutais avec mes camarades athées, ils m’affirmaient naïvement que les croyants font le bien pour obtenir une récompense dans l’au-delà. Je leur répondais alors souvent que beaucoup de théistes[2] ne croient ni en la vie éternelle, ni dans l’outre-monde ni dans aucune récompense. Ils font le bien parce que c’est le bien, point à la ligne.

A priori, les soixante-huitards n’avaient que mépris pour ses breloques… Et pourtant, déjà à l’époque (en 2007), je percevais qu’une administration comme l’INAMI exprimait par ce geste une reconnaissance pour l’investissement (presque) gratuit dans ses structures de concertation. Or, et c’est là que cela devient délicat, j’estimais à l’inverse que les maisons médicales au sein desquelles j’exerçais exprimaient quant à elles assez peu de reconnaissance vis-à-vis de leur personnel. J’avais vu alors deux de mes collègues, très compétents et très courageux, tomber au front de l’épuisement professionnel. Et un autre saisi d’une maladie organique sérieuse, probablement en partie fruit d’un dévouement et d’un esprit de sacrifice sans faille.

Quand je disais à l’accueil de ma maison médicale « Ne le chargez pas, ce n’est pas parce qu’il dit oui que vous devez le surcharger. Vous devez le protéger de sa générosité… », c’était comme si je chantais la Marseillaise en Tadjik. Donc au total, pas assez de préoccupation de l’autre, pas assez de reconnaissance privée et publique.

Alors, pour finir, cette médaille reçue de l’INAMI (qu’on appelle aussi décoration, un vrai poème) me signifiait qu’une administration, une bureaucratie parvenait à exprimer symboliquement sa gratitude, un peu à la manière des instituteurs donnant des gommettes aux enfants méritants.

Voici donc la raison pour laquelle j’ai accepté l’invitation en 2007, et que je récidive en 2024.

Puisqu’il faut garantir la reconnaissance, mais aussi les chaînes de reconnaissance, j’envoie mon spirituel salut au Dr Michel VRAYENNE† qui m’avait demandé à l’époque de le remplacer au Conseil technique médical. C’est de ce moment que le compteur à médailles a commencé à tourner…

Michel était une forte personnalité, très intelligent, légèrement sarcastique. Il a consolidé le GBO dans une période difficile de traversée du désert jusqu’aux élections syndicales médicales de 1998, élections qu’il revendiquait depuis plus de 20 ans et finissait par désespérer de voir un jour se mettre en place (d’aucun aurait baissé les bras bien avant !).

C’est sur ce salut que je clôture ce petit texte, en l’honneur de tous les sans grade, pourtant ô combien courageux et dévoués, mais qui ne recevront pourtant jamais aucune reconnaissance matérielle ou symbolique pour saluer leur investissement sans faille. Que ce soit de la part des instances de concertation ou de la part des dizaines de milliers de médecins qu’ils représentent et dont ils défendent les intérêts au quotidien depuis tant d’années …

Pour conclure, j’invite donc toutes les générations de médecins à se souvenir de ce travail de l’ombre effectué par leurs représentants syndicaux, travail pourtant indispensable pour garantir la qualité de notre métier et le plaisir de l’exercer ! La critique est aisée mais l’art est difficile[3]

[1] De agapè, agaph, amour divin, spirituel par opposition à philia filia (amitié) et eroV (amour sexué).
[2] On peut aussi dire déiste, mais ce n’est pas un exact synonyme.
[3] La version originale de l’expression est « La critique est aisée et l’art est difficile », imaginée en 1732 par l’auteur et comédien Philippe Néricault.