Non, « Health in all policies » n’est pas un vain concept.

Puisse l’Arizona en prendre conscience avant qu’il ne soit trop tard

Flash-info 61/25, publié le 14/10/2025

Plusieurs de nos membres nous ont interpellés au sujet de la manifestation nationale de ce 14 octobre, souhaitant que le GBO s’y associe.

Conscients de la diversité des sensibilités des médecins généralistes, nous avons choisi de donner la parole à celles et ceux qui, chaque jour, soignent et constatent dans leurs cabinets les effets concrets des politiques actuelles sur la santé de leurs patient·es.

Ces vignettes reflètent une conviction commune : la santé n’est pas qu’une affaire de soins, elle est profondément liée aux choix politiques et sociaux.

À travers ces témoignages, le GBO/Cartel réaffirme l’importance d’un système de santé solidaire, équitable et accessible à toutes et tous, investissement indispensable pour le futur.

Hold-up sur la sécurité sociale : trop is te veel

Dr Lawrence Cuvelier

2025 : une attaque continue contre le budget de la santé

L’année 2025 est marquée par une série d’attaques répétées sur les moyens alloués à la santé et sur la manière d’atteindre une meilleure efficience du système.

Notre modèle est fondé sur la concertation – un outil démocratique par excellence – qui réunit les prestataires de soins et les organismes assureurs autour d’une même table. Ce modèle doit travailler dans un cadre de budget fermé : en cas de dépassement, il revient aux partenaires de négocier ensemble des corrections pour réaliser les économies nécessaires.

Or, l’année 2024 s’est malheureusement soldée par un important dépassement budgétaire.

Nous avons joué le jeu de la concertation. Nous avons proposé des économies.

Des mesures d’économie conséquentes avaient été identifiés par nos soins dans le cadre de discussions complexes et parfois douloureuses.

Le renoncement au financement de la phono-consultation a été imposé à la médecine générale. Scénario improbable et surréaliste : on a reproché à la phono-consultation d’avoir engendré un dépassement budgétaire… alors même qu’aucune ligne n’était prévue à cet effet !

Pourtant, nous avons toujours soutenu que, dans un contexte de surcharge de travail, la phono-consultation constitue une alternative valable, accessible et écologique pour les patient·es et les médecins traitants.

Des économies supplémentaires imposées sans justification

Malgré cet effort collectif, le gouvernement exige encore de nous 200 millions d’euros d’économies supplémentaires, à répartir entre les honoraires médicaux (150 M) et les hôpitaux (50 M).

Cette décision, prise sans concertation, ne s’appuie sur aucune justification objective liée aux dépenses ou à de potentiels dépassements d’honoraires.

Il s’agit d’un véritable “fait du prince”, imposé par l’ensemble du gouvernement, au mépris des mécanismes de négociation.

Une augmentation du ticket modérateur… détournée

Dans la recherche de moyens supplémentaires, nous avions soutenu une augmentation minime et encadrée du ticket modérateur pour les consultations des assurés ordinaires. L’objectif était clair :

  • Renforcer l’accessibilité aux soins, notamment via le remboursement de la phono-consultation ;
  • Épargner les patient·es bénéficiaires de l’intervention majorée.

Mais nous apprenons maintenant que, si elle devait être mise en place, cette contribution supplémentaire des patient·es ne bénéficierait ni aux professions concernées, ni même au budget global des soins de santé. Elle serait réaffectée directement au budget fédéral pour financer l’augmentation d’autres budgets, comme celui – extrême – de la défense, par exemple, et assorties par ailleurs à des diminutions d’impôts. Face à ce détournement de sens et de fonds, nous avons refusé d’approuver le budget au Comité de l’assurance.

Pour toutes ces raisons, nous exprimons notre profonde inquiétude quant à l’avenir de notre modèle de concertation, aujourd’hui mis à mal : ces décisions unilatérales et autoritaires entravent les conditions nécessaires à une gestion équilibrée, juste et efficiente de notre système de santé.

Seul un dialogue respectueux et transparent permettra de garantir une médecine accessible, de qualité, et durable pour toutes et tous.

Pourquoi je vais manifester ?

Dr Pierre Sasse

Je suis médecin généraliste depuis 4 ans maintenant. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que la santé n’est pas qu’une affaire de médecine. Toutes les décisions politiques (en affectant les revenus, l’accès aux soins, le logement, l’éducation, la mobilité, l’environnement, …) influencent indirectement la santé de chacun et chacune.

Ces mesures de remises au travail des chômeurs et chômeuses et bientôt des invalides sont brutales et inhumaines. Elles témoignent de la déconnexion du gouvernement de la réalité vécue par la population qu’il souhaite gouverner. Cachés derrière leurs chiffres d’économie potentielle et leur tentative d’homogénéisation de groupes infiniment plus complexes, ils oublient qu’il y a des vies humaines en jeu. Ces femmes et ces hommes, contrairement à eux, je les côtoie au quotidien dans mon cabinet. Ce ne sont ni des feignants ni des faux malades, ce sont des humains avec des parcours de vie inédits et inattendus, des personnes qui se sont battues sans jamais gagner. Aucune dette nationale ni aucune culture du mérite ne suffit à justifier qu’on leur coupe les vivres. Ils et elles vont ainsi être précarisé.es, abîmé.es et invisibilisé.es. Croire que ces histoires ne sont que le fruit de leur responsabilité revient à se voiler la face sur ce qui pourrait nous arriver à tous et toutes.

Du côté de mon cabinet, je sais que les malades vont affluer à cause de ces réformes. Je crains le sentiment d’impuissance qui va m’habiter face à des problèmes de santé dont les causes sont systémiques (accès à une alimentation de qualité, logement de qualité, accès au soin, …). Je crains la surcharge de travail inévitable, surtout dans un contexte de pénurie, provoquée par les pouvoirs publics. Chaque patient souhaite être respecté et écouté, ce n’est déjà plus possible, que cela va-t-il devenir ? Je crains de devenir le réceptacle de la colère légitime de mes patients et patientes qui vivent des injustices dont les responsables sont inatteignables.

Plutôt que de punir, il est sûrement plus humain d’essayer de comprendre pour mieux accompagner. C’est pour cela que je vais manifester, pour leur rappeler l’humanité qui est si chère à mon métier.

Ce 14 octobre, faisons entendre la voix du soin

Amélie Cuvelier

Dr Amélie Cuvelier

En tant que médecins généralistes, chaque jour nous ouvrons nos cabinets aux patients et avons le privilège de voir défiler le reflet d’une société en miniature, révélée dans l’espace de l’intime. Trop souvent, cela met sous nos yeux la réalité d’une société qui souffre.

La précarité rend malade. L’isolement rend malade. Et le cabinet médical devient le dernier espace de parole, le seul lieu où l’on peut encore dire qu’on n’en peut plus.

Les douleurs chroniques explosent et les troubles psychiques se multiplient. Objectiver la souffrance devient un parcours du combattant. Les patients doivent sans cesse justifier qu’ils ne vont pas bien, prouver qu’ils ne simulent pas, qu’ils ne sont pas des « faux malades », « des profiteurs ». Les soignant·es, eux aussi, s’usent à ce jeu de suspicion permanente.

Pas de place chez les psychologues, plus de psychiatres disponibles. Et pendant ce temps, la première ligne croule sous la charge, épuisée et à bout de souffle.

Plutôt que de s’attaquer aux causes réelles des maladies de longue durée, le gouvernement choisit la répression : contrôle, sanction, culpabilisation.

Sous couvert d’“activation”, les personnes malades sont renvoyées trop tôt au travail, au risque d’aggraver leurs pathologies.

Les femmes, qui représentent 60 % des malades de longue durée en Belgique, seront les premières touchées : elles cumulent les métiers pénibles (titres-services, soins, nettoyage, …), la charge familiale, et des pensions plus faibles dues aux temps partiels.

Nous refusons cette logique comptable qui réduit les patients à des numéros, les travailleurs à des coûts et les soins de santé à un marché.

Des politiques d’austérité qui détruisent le tissu social

Les conclaves budgétaires se succèdent et se ressemblent : toujours plus de coupes, toujours moins de moyens. Les CPAS, les associations, les projets de terrain sont étranglés.

À Charleroi, par exemple, le projet “Espace Jeunes” de La Docherie, fruit de 15 ans de collaboration entre le CPAS et le monde associatif, est menacé de disparition suite aux restrictions budgétaire du CPAS.

Un lieu d’écoute, d’échange et d’émancipation pour les jeunes risque de s’éteindre, faute de soutien politique. Ce n’est pas un projet parmi d’autres qu’on ferme, c’est un lieu concret où les jeunes trouvaient écoute, soutien et perspectives.

Nous ne voulons pas d’un système fondé sur la méfiance et la sanction.

Nous voulons des politiques de santé qui prennent soin, qui reconnaissent la complexité des trajectoires de vie, qui valorisent le travail du soin plutôt que de l’éreinter.

Nous voulons des soins de qualité accessibles à toutes et tous.

Nous voulons des moyens pour prévenir plutôt que punir.

Parce que notre rôle de soignant.e.s, c’est de protéger la santé, pas de la gérer comme un tableau Excel.

Personne ne choisit d’être malade.

Le 14 octobre, faisons entendre la voix du soin, pour nos patient.e.s et pour nos collègues.

Ne pas augmenter l’impôt, mais prélever directement dans la poche des citoyens et des soignants est une fiscalité déguisée, profondément inéquitable

Dr Anne Gillet

Nous sommes convaincus que seul un impôt proportionnel aux revenus permettra à l’État de répondre aux défis présents et à venir sans provoquer de dégâts sociaux irréparables.

Crise climatique, environnementale, migratoire… Explosion des maladies chroniques, montée des troubles de la santé mentale : les besoins augmentent, et ils exigent des réponses collectives ambitieuses.

Or, au nom d’un soulagement fiscal supposé, on nous propose de réduire la taxation sur les revenus, les capitaux ou le patrimoine – ce qui bénéficie surtout aux plus aisés – tout en comblant les pertes par des restrictions d’aides d’État ciblées sur les pensionnés, les allocataires sociaux, les enseignants et l’enseignement, les soignants et les soins de santé, les ONG d’aides aux précarisés, les artistes et la culture.

N’est-ce pas une taxation déguisée, non équitable celle-là, ciblée sur les plus malades, les enfants, les plus précaires et les professions non marchandes qui sont pourtant le « liant » de notre société ? Les négliger, c’est préparer une société plus dure, plus inégalitaire, plus instable.

Et à terme, c’est l’État lui-même qui en paiera le prix, dans un effet boomerang social de plus en plus difficile à gérer. Comme un patriarcat capitaliste qui se mordrait la queue ?

La santé, c’est l’affaire de toutes les politiques

Dr Catherine Framba

Certaines mesures du gouvernement Arizona fragilisent la sécurité sociale, restreignent les droits sociaux et accroissent les inégalités. Cela touche directement nos patient·es, particulièrement les plus précaires : durcissement de l’accès au chômage et aux pensions, flexibilisation accrue du travail, affaiblissement des protections collectives… Ces politiques ont un impact immédiat sur la santé publique, que nous observons déjà dans nos consultations.

En tant que médecins généralistes, nous savons que la santé ne dépend pas seulement des soins médicaux, mais aussi des conditions de vie : emploi, logement, protection sociale, dignité. C’est pourquoi il est essentiel que le GBO se joigne à ce mouvement et affirme publiquement que défendre la solidarité, c’est aussi défendre la santé… Ensemble, montrons que la médecine générale est solidaire et engagée pour une société plus juste.

Pourquoi, ce 14 octobre, je ne verrai pas mes patients

Dr Pierre Hallet

Je suis médecin généraliste à Bruxelles (Saint-Josse-Ten-Noode) depuis maintenant 5 ans. Dans mon lieu de travail, la Maison médicale Botanique, on parle souvent de l’impact des décisions politiques pour la santé. Dans les conversations avec mes proches c’est aussi un sujet qui revient régulièrement. Pour autant, je ne peux pas me considérer comme un militant, je ne participe que rarement à des manifestations, et je ne partage pas mes convictions politiques sur les réseaux sociaux ou dans une quelconque revue.

Cependant ce 14 octobre je vais annuler mes consultations et participer à la manifestation contre les mesures prises par notre gouvernement. Annuler des consultations, me rendre moins disponible pour mes patients dans le but de participer à une manifestation n’est pas une décision que je prends à la légère.

Je participerai à cette manifestation en tant que citoyen mais avant tout en tant que médecin. Les mesures annoncées par le gouvernement Arizona vont appauvrir, précariser et humilier encore davantage ceux et celles qui aujourd’hui sont déjà les plus fragiles dans notre société.

Cette précarisation de nos patients et patientes ne va faire qu’aggraver les problèmes de santé mentale auxquels nous sommes confrontés.

Aujourd’hui, je reçois des patients qui ont peur d’être projetés dans la pauvreté, peur de ne plus savoir payer leur logement, peur de ne plus pouvoir proposer une alimentation saine à leurs enfants, peur d’être oubliés par la société. Malgré ma formation, mon écoute, mon empathie et l’aide mes collègues je me sens bien impuissant pour leur venir en aide.

La santé physique de nos patients sera, elle aussi, dégradée par ces mesures. En 2024, il ressortait déjà d’une enquête de Solidaris que près de 4 belges francophones sur 10 avaient renoncé à des soins pour des raisons financières. Les réformes décidées par le gouvernement Arizona qui vont notamment restreindre l’accès au chômage et le limiter dans le temps ne vont certainement pas améliorer la situation. Les durcissements de l’accès à la pension qui va appauvrir les pensionnés ne va pas non plus faciliter les soins pour nos aînés.

Comment ne pas mentionner les réformes de la législation du travail ? Augmentation du volume d’heures supplémentaires volontaires, suppression de l’interdiction générale de travail de nuit et renforcement de la flexibilité horaire, suppression de l’obligation de durée minimum pour les contrats à temps partiel … Je me sens bien ridicule parfois de conseiller à mes patients de prendre soin de leur équilibre vie privée/vie professionnelle, ou de leur rappeler l’importance d’une bonne hygiène de sommeil pour la santé mentale et physique. Un nombre de plus en plus important de nos patients évoluent dans un environnement professionnel délétère et lorsqu’ils rentrent chez eux ils sont confrontés à des difficultés matérielles de plus en plus pressantes. Ne nous étonnons pas qu’une proportion de plus en plus importante de nos patients souffrent de dépression et d’anxiété.

En tant que médecin, notre rôle est de prendre soin de la santé de nos patients et de les amener à prendre soin d’eux-mêmes.

Mais, face à de telles réformes, les compétences et l’empathie que nous déployons au quotidien dans nos cabinets pour aider nos patients sont insuffisantes ! La santé est une question éminemment politique et notre rôle est aussi de faire entendre notre voix en tant que soignant et de lutter contre ces réformes qui dégradent la santé des Belges.

Cette manifestation du 14 octobre, j’y participerai quoi qu’il advienne, car je suis convaincu que cela fait partie de mes devoirs en tant que médecin. Mais j’aimerais pouvoir y participer aux côtés de mes confrères et consœurs, pour que notre voix soit entendue par notre gouvernement et aussi par nos patients pour qu’ils sachent que notre empathie pour eux ne s’arrête pas à la porte de nos cabinets.

J’adresse cette lettre au GBO parce que je considère que c’est le rôle de notre syndicat de rassembler les médecins qui souhaitent s’engager dans cette mobilisation. Notre responsabilité collective est d’utiliser notre statut de soignants pour défendre non seulement nos conditions de travail, mais surtout les fondements d’une société humaine, solidaire et accessible.

Une crise sanitaire silencieuse qui ne suscite que peu d’initiative politique, sanitaire et académique

Dr Marc Jamoulle

Je suis médecin généraliste, avec une longue expérience de terrain. Je souhaite attirer l’attention sur un phénomène grave et préoccupant : la “chasse aux malades de longue durée” qui semble se dessiner dans les récentes orientations politiques sans tenir compte de certains nouveaux données médicales et sanitaires.

En effet, de très nombreux patients, en âge de travailler, sont aujourd’hui atteints de syndromes post-COVID prolongés (Long Covid).

Je le constate quotidiennement dans ma pratique : après mes propres patients, ce sont désormais des intellectuels, ingénieurs, médecins, avocats, informaticiens, cadres, infirmières, psychologues…, issus de toutes les régions du pays, qui viennent me consulter. Tous décrivent la même réalité : une perte durable de la capacité à mener une vie professionnelle et sociale normale. Il est en outre hautement probable que l’augmentation exponentielle des diagnostics de burn-out dissimule en réalité de nombreux cas de Long Covid non identifiés.

Les données issues de mon cabinet (1) sont alarmantes :

  • pratiquement tous les patients de plus de 25 ans suivis pour Long Covid sont en incapacité de travail depuis plusieurs années,
  • et tous les enfants concernés sont désormais déscolarisés.

Cela illustre une crise sanitaire silencieuse, qui touche des milliers de citoyens actifs et productifs. Pourtant, aucune initiative politique, sanitaire ou académique d’envergure ne semble se préoccuper sérieusement de cette population.

J’invite à reconnaître et à traiter le Long Covid comme un enjeu de santé publique majeur, non seulement médical mais aussi social, économique et humain.

(1) Vous trouverez ces informations dans ce rapport de recherche 2021-2025 en anglais et français