Plus de blé pour ceux qui en produisent

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier,
vice-président du GBO/Cartel, publié le 09/02/2024.

Dans un monde qui change, il est difficile de trouver des repères …

En 1960, en France, il y avait plus de sept millions d’agriculteurs, ils sont moins de 400.000 aujourd’hui. Ils gagnent en moyenne le revenu minimum d’intégration (RMI) et travaillent 70 heures par semaine, et ils sont parfois qualifiés d’empoisonneurs alors qu’ils doivent suivre les recommandations européennes en matière d’environnement. Les surfaces cultivables en Europe ont diminué alors qu’une des causes de désertification réside dans la libre circulation de produits agricoles en-dehors de l’espace européen qui ne sont pas produits dans les mêmes conditions phytosanitaires et sociales. L’Europe se met à importer de la nourriture alors qu’elle a la possibilité d’en exporter. Je ne suis évidemment pas expert en agriculture mais cette situation est fort comparable à la situation des politiques de santé dans nos communautés, notre pays et à l’échelle européenne.

La pénurie de généralistes, qui n’existe pas selon certains (il est vrai de plus en plus rare), a un impact désastreux sur la qualité des soins. Des études montrent que l’augmentation du nombre de généralistes diminue la mortalité.

Prendre soin de ceux qui veillent sur vous

La comparaison est facile pour différents points. Les hôpitaux comme les exploitations agricoles fonctionnent avec de gros budgets et d’énormes investissements. Dans notre pays, leur situation est précaire, ce qui les oblige à recourir à toute une série de pratiques douteuses, en ce qui concerne le monde de la santé, qui ont plus avoir avec l’idéologie de marché que celle de la santé publique. Dans cet ordre-là, le fait qu’un assistant en spécialité dépasse largement les 70 heures de travail par semaine est particulièrement fréquent, où devrais-je dire c’est la règle, car si vous ne signez pas une forme de décharge de responsabilité, vous serez relégué à faire une spécialité à Trifouillis-les-Oies. La plupart des hôpitaux se livrent une concurrence féroce entre eux, ce qui ne permet pas une mutualisation des moyens, c’est à dire de rendre rentable ce qui est coûteux si on se place uniquement dans une logique de compétition, comme production de produits alimentaires qui viennent du bout du monde pour pouvoir vendre des avions, locomotives ou automobile.

Les compétitions délétères

La compétition est aussi évidente avec la première ligne de soins, des pathologies chroniques et combinées sont morcelées par des spécialistes au détriment d’une prise en charge globale en ambulatoire. Je pense à ce patient obèse, qui vient me voir pour la première fois pour un renouvellement de médicament. En examinant sa demande, je m’aperçois qu’il s’agit de médicament pour le diabète et l’hypertension. J’ai devant moi un patient qui considère le médecin généraliste comme un élément du paysage, sympathique mais plutôt inutile. Je prends sa tension qui est au-delà de 180 mm de mercure. Il me dit qu’il voit son cardiologue tous les 3 mois, je lui propose de le revoir dans un mois, ce qu’il accepte gentiment, mais reviendra-t-il ? Quand le lien thérapeutique n’est pas établi, il est pratiquement impossible de l’imposer mais nous nous trouvons dans un monde paradoxal, où la deuxième ligne, surtout hospitalière fait concurrence à la première, et il est en même temps très compliqué d’envoyer les patients chez des spécialistes qui pratiquent des prix conventionnés au sein d’un hôpital. Bien sûr, si vous allez en privé, ce problème sera vite résolu.

Que le dernier vrai généraliste éteigne la lumière avant de prendre congé

Dans le même ordre d’idée, certains de nos confrères en Belgique comme en France, sont très fiers d’avoir obtenu un numerus clausus, avec comme objectif affiché de maintenir la qualité, et de réduire la surconsommation de soins et comme objectif moins proclamé de préserver un revenu acceptable pour les médecins, et surtout de ne pas être à la merci des autorités pour qu’elles puissent imposer leurs conditions (cf. Leburton : « On les aura par le nombre !). Cette logique avait encore plus de succès chez les spécialistes, qui ont pourtant largement dû puiser dans les médecins en formation pour faire tourner les hôpitaux à moindre coût. La pénurie de généralistes, qui n’existe pas selon certains (il est vrai de plus en plus rare), a un impact désastreux sur la qualité des soins. Des études montrent que l’augmentation du nombre de généralistes diminue la mortalité. Concernant ce dernier point, on ne peut qu’approuver la détermination du ministre de la Santé qui a fait bouger les lignes.

Nous pourrions mettre au pilori la politique et les politiques de santé, nous n’en ferons rien, car pour comprendre toutes ces incohérences, il faut saisir la complexité des institutions et des limites de pouvoir de chacun. Le meilleur exemple réside dans la commercialisation des médicaments. Notre pays, qui n’est pourtant pas un nain à l’échelle mondiale, a le poids d’un confetti face aux firmes pharmaceutiques, il est évident que seule l’Europe pourrait mener une politique cohérente à ce niveau. Ce n’est pas un aveu de faiblesse de dire que l’on fait ce que l’on peut, même si certains continuent à promettre l’impossible, nous avons l’honnêteté de dire que les choses sont complexes et dépendent souvent d’une myriade d’intervenants et de facteurs.