
Prescription d’antibiotiques par les MG : le GBO écrit au SECM et au CNPQ
Flash-info 52/24, publié le 12/07/24
Le GBO/Cartel a envoyé au service d’évaluation et de contrôle médical (SECM), ainsi qu’à la Direction de l’INAMI et au Conseil National de Promotion de la Qualité (CNPQ), un avis circonstancié concernant la circulaire du 1er juillet 2024 envoyée par le SECM au sujet des prescriptions d’antibiotiques chez les médecins généralistes.
Merci à tous les généralistes qui nous ont donné leurs avis pertinents.
.
Envoyer le feedback concernant la prescription d’antibiotiques aux généralistes est une initiative utile en soi. La prescription injustifiée ou excessive d’antibiotiques est un problème réel de santé publique et individuelle. Les médecins généralistes en sont bien conscients et ont leur part à jouer, comme nous l’avons souligné dans notre Flash-info envoyé à nos membres le 04/07/24.
La constatation qu’au niveau européen la Belgique se trouve parmi les mauvais élèves en matière de consommation d’antibiotique explique l’objectif même de la mesure; d’où l’intention – déclarée de santé publique – de la ramener dans le sillage de la moyenne des bons élèves (Hollande, Pays Scandinaves) avec des seuils de prescription bien plus bas.
Cet envoi, le GBO/Cartel revendique qu’il soit réalisé par le Conseil National de la Promotion de la qualité (CNPQ), organe rassemblant les prestataires de soins dont les syndicats, les organismes assureurs, les scientifiques dont la SSMG et les services publics (SPF Santé Publique et l’INAMI dont le SECM). Le GBO/Cartel insiste : ce type de courrier doit être envoyé par « les pairs parlant aux pairs ». Le SECM ne peut pas s’adresser à toute la population de médecins et ne doit entrer en action que lors de déviations manifestes répétées d’outliers.
Mais, le GBO/Cartel regrette le ton incisif de la lettre du SECM qui, en maniant le bâton, est clairement contre-productif, nous le constatons sur le terrain. Nous rappelons que les profils sont nécessaires pour permettre aux généralistes d’avoir un regard sur leur pratique en vue d’amélioration. Le GBO/Cartel insiste :
Au lieu de contraindre, il faut convaincre.
Le GBO/Cartel est investi au CNPQ dans une démarche d’amélioration de la qualité, sans pour autant accepter ce qui peut être ressenti comme un « préjudice administratif » par l’ensemble de la profession. Nous demandons de mettre ce sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion du CNPQ.
Incitation à une meilleure prescription
Le GBO/Cartel est favorable à l’instauration de stimulants à la prescription la plus adéquate et soutient les efforts déployés par nos sociétés scientifiques universitaires et de formation continue (SSMG) pour leurs démarches de formation en ce sens (diffusion des RBP, formations continues, glems). La médecine générale est actuellement engagée dans une dynamique de meilleure prescription et de « dé-prescription » quand c’est possible, dans le cadre de la prévention quaternaire, au cœur de sa responsabilité.
Or, plusieurs prestataires se conformant à la lettre aux recommandations de la BAPCOC, du site du CBIP et de la cellule de la SSMG, sont malgré cela en dehors des clous pour certains critères édictés par le SECM.
Analyse des indicateurs de déviation manifeste des bonnes pratiques médicales relatifs à la prescription efficace d’antibiotiques du SECM
Cette analyse est importante.
D’une part pour éviter d’envoyer un message erroné et potentiellement contre-productif aux médecins traitants généralistes et inquiéter injustement des médecins qui travaillent correctement. Et à l’inverse pour éviter de valider des médecins qui sur-prescrivent des antibiotiques mais qui, en sur-prescrivant d’autres spécialités remboursées auront de bons indicateurs.
Et d’autre part pour éviter des contrôles et des interventions qui pourraient sanctionner sans arguments cohérents. En effet, dès lors que la liberté thérapeutique est réduite pour des raisons de santé publique, cela doit se faire avec des arguments scientifiques éprouvés.
D’après nos renseignements, dans le calcul du CNPQ, le numérateur est basé sur les patients avec prescription d’antibiotique. Le dénominateur est calculé sur base de la patientèle (chiffre obtenu à partir des patients attribués par médecin sur base des DMG ou de la fréquentation la plus importante sur une année complète, chaque patient est affecté une seule fois, à un seul médecin).
Dans les calculs du SECM, ce qui est en cause est bien le dénominateur choisi par le SECM, basé non pas sur la patientèle du médecin généraliste, mais sur les patients qui ont eu une prescription. De ce fait le calcul néglige tous les patients qui n’ont pas reçu de prescription (et par ailleurs un patient peut être compté plusieurs fois car il peut recevoir une prescription de chaque médecin différent qu’il fréquente dans l’année). De ce fait dans une patientèle particulière (les enfants par exemple chez qui on prescrit moins de médicaments chroniques) il y a un risque de surreprésentation relative des AB, puisque le nombre de patients au dénominateur est réduit car l’alternative au traitement antibiotique est de ne rien prescrire (et donc ces patients ne sont pas comptés parce qu’ils n’ont pas de prescription).
Le SECM a choisi cette option pour accélérer les résultats (la méthode de calcul du CNPQ de la patientèle augmente le délai d’un an) et pour avoir un indicateur identique pour les médecins de maisons médicales et la médecine à l’acte.
Nous voilà donc face à un choix discutable de la part du SECM, provoquant la polémique actuelle : la rapidité d’action au lieu de la qualité des indicateurs.
- De ce choix, il ressort que toute la profession des généralistes se trouve en dehors des clous des indicateurs pour deux critères de qualité, non adaptés donc à la pratique de terrain.
- Dans ces analyses, tient-on compte de l’initiateur de la prescription? Les repères prescriptifs en médecine spécialisée ne sont pas toujours les mêmes qu’en terrain généraliste pour la même pathologie. Or, le généraliste doit parfois renouveler un traitement instauré par un spécialiste ou une salle d’urgence, dans ou hors normes. Qu’en est-il du profilage de ces médecins-là qui serait aussi une source d’information ?
- La charge de travail du médecin est probablement un élément dont on doit tenir compte. Il est parfois plus facile de prescrire un antibiotique que de revoir le patient 48h après la première consultation pour réévaluer la pertinence d’une antibiothérapie. Ceci ne justifie en rien une prescription inadéquate mais démontre, s’il le faut encore, que la pénurie de prestataires imposée aux généralistes est par elle-même délétère.
- Quelles sont les réponses aux demandes maintes fois renouvelées d’une prescription à l’unité, indispensable pour faire concorder la prescription avec les dosages requis. L’exemple de la Furadantine, premier choix dans la cystite non compliquée de la femme, est remarquable. 9 co suffisent, la boite en contient 50. Il y a ce qui est prescrit et il y a ce qui est réellement avalé par le patient. La différence n’est pas de la responsabilité du prescripteur. Ou l’exemple de la prescription temporaire avant l’obtention des résultats d’une analyse d’urine, d’une prise de sang… et 48h après, l’adaptation de l’antibiothérapie ou son arrêt. Les comprimés non pris sont tout de même comptabilisés.
L’indicateur 1 : % d’antibiotiques prescrits/autres médicaments prescrits remboursés :
« le pourcentage de patients avec une prescription pour un antibiotique par rapport au nombre total de patients avec une prescription pour une spécialité pharmaceutique remboursée doit être de maximum 45 % pour les patients âgés de 14 ans ou moins; 23 % pour les patients âgés de 15 ans ou plus. »
- Cet indicateur n’interroge pas la pertinence de la prescription d’antibiotique. Il mesure le pourcentage de prescription aux patients souffrant de pathologie aiguë nécessitant un antibiotique par rapport aux patients souffrant de pathologie plus chronique et traités par des molécules remboursées. Les traitements symptomatiques non remboursés et la non-prescription ne sont donc pas pris en compte.
- Un jeune médecin en région de forte pénurie médicale reçoit plus fréquemment des patients pour prise en charge de pathologie aiguë, en aide à ses confrères surchargés, incapables de les recevoir dans un délai raisonnable. Ce jeune médecin est alors plus fréquemment en contact avec des problèmes de type pneumonies, otites moyennes aiguës, sans être amené à leur prescrire leur traitement chronique habituel. L’indicateur de prescription d’antibiotiques est alors plus élevé que chez ses confrères plus âgés. Le même raisonnement peut être tenu face à la pédiatrie généraliste.
- Certains médecins seniors gèrent une patientèle plus typiquement âgée et fragilisée avec une probable « sur-prescription » d’antibiotiques.
- Qu’en est-il de la prise en compte des associations de médicaments, fréquemment utilisées pour assurer une meilleure compliance ? Le pourcentage de prescriptions d’antibiotiques augmente si ces associations sont considérées comme une seule prescription par rapport aux médicaments simples considérés chacun comme une prescription individuelle.
Indicateur n°2 : % amoxicilline/amoxicilline + acide clavulanique :
« le pourcentage de DDD d’amoxicilline pure par rapport au nombre total de DDD d’amoxicilline (associée ou non à de l’acide clavulanique) doit être d’au moins 80 %. ».
- La pertinence de l’antibiotique n’est pas questionné. Le premier choix d’une exacerbation de BPCO en ambulatoire est l’amoxicilline mais en milieu communautaire et chez les patients atteints de comorbidité, c’est l’amoxiclav qui est recommandé d’emblée. Le pourcentage de patient en MRS suivi par le généraliste a une influence directe sur le pourcentage de cet indicateur.
- D’autres indications de l’amoxiclav, comme la diverticulite, interroge sur la prise en charge ambulatoire motivée soit par la difficulté d’hospitaliser dans les territoires distant de l’hôpital, soit par la décision d’éviter le recours à l’hôpital. Le recours précoce à la salle d’urgence aura un effet positif sur les indicateurs du généraliste, mais un effet négatif sur la surcharge hospitalière, ce qui n’est pas le but recherché.
- Certains médecins sont en dessous de la prescription moyenne générale d’antibiotiques, mais ont des rapports amoxi/amoxiclav ou 2è générations trop bas. Cela signifierait-il qu’ils ne prescrivent que pour des infections sévères ? Quelqu’un qui prescrit de l’amoxicilline pour une infection où on pourrait s’en passer aura un meilleur ratio amox/(amox+ amoxclav) que celui qui ne prescrit rien.
- Pourquoi n’avons-nous plus de Pénicilline PO à spectre étroit au Compendium depuis 40 ans? Il est intéressant d’avoir aussi ce rapport-là Penicilline/Amoxicilline.
Indicateur n°3 : % d’antibiotiques de 2ème ligne/ nombre total d’antibiotiques :
« le pourcentage de DDD d’antibiotiques de deuxième ligne par rapport au nombre total de DDD d’antibiotiques doit être de maximum 20 %. »
- Là aussi il n’est pas question de la pertinence médicale de la prescription. Certains médecins vont rencontrer davantage de pathologies nécessitant des antibiotiques de 2ème lignes (centres de planning familial, par exemple…).
- De plus, au vu des épidémies de coqueluches et mycoplasmes , il y a une surprescription de macrolide à certains endroits.
- Prendre le critère des DDD quand on compare les traitements à l’amoxicilline aux traitements aux quinolones semble non adéquat, celles-ci étant souvent prescrites adéquatement plus longtemps pour des pathologies plus lourdes.
Conclusion :
Si l’on veut mesurer la bonne utilisation d’un antibiotique, il faut la relier au diagnostic (avec pourcentage d’antibiotique de 2ème ligne pour chacune des pathologies) et à la qualité des prescriptions adjacentes, remboursées ou non, présente ou non, pour éviter les biais.
Questionnements :
- Ne devrait-on pas interdire les délégués médicaux chez tous les médecins, pour s’assurer d’une indépendance intellectuelle dans les prescriptions ? Et dans la foulée réinstaurer Farmaka, dont la disparition a été orchestrée par la Ministre de la Santé Maggie De Block .
- Les pharmaciens pourront délivrer des antibiotiques dans les infections urinaires et les maux de gorge ? Veut-on vraiment diminuer la consommation des antibiotiques ? Les médecins ne peuvent délivrer des médicaments car ils pourraient être « financièrement intéressés » en prescrivant et délivrant. Pourquoi cette latitude face à cette dichotomie chez le pharmacien ? Cela mérite un large débat notamment au sein de la concertation médico-pharmaceutique…
- Où en est le profilage d’autres professions, comme les vétérinaires… ?
Conclusions
Le danger du message incisif du SECM donné aux généralistes réside dans la détérioration du message qui était pourtant élaboré dans le but d’améliorer la qualité. Nous mettons en garde le SECM sur le risque, engendré par son message, d’une prescription défensive dont les effets en matière de santé publique seraient aussi délétères que ceux engendrés par le laxisme.
Or, nous le répétons : au lieu de contraindre, il faut convaincre.
À cet effet, – peut être mieux définie et structurée qu’actuellement – la peer review reste le gold standard. La profession est demandeuse d’en discuter dans un cadre de dialogue constructif.
En effet, le GBO/Cartel insiste pour la reconnaissance de la particularité du métier de généraliste. Les recommandations de bonne pratique (RBP) sont des guidelines, non des normes contraignantes. Les RBP ont été bien accueillies comme armes efficaces contre la partialité de l’information délivrée par les firmes. Il ne faut pas qu’elles deviennent une arme contre le soin singulier qui fait toute la qualité de notre métier.
Le GBO/Cartel insiste aussi pour une reconnaissance de l’autorité scientifique des médecins dans les relations thérapeutiques. Le partenariat entre médecins et patients, dans une dynamique d’interaction participative, nécessite cette reconnaissance pour limiter le poids trop important des demandes ou exigences injustifiées des patients (une nouvelle campagne de sensibilisation est souhaitable pour soutenir l’éducation des patients). Il ne faut pas négliger la difficulté majeure dans la négociation de rester ferme, capable de résister aux pressions, quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent. C’est ici que trouver un équilibre entre interaction participative et fermeté directive, entre souci de l’individu et souci du collectif, a toute sa pertinence.
Nous aurions aimé une description plus explicite des devoirs des patients face à leur droits inscrits dans la récente loi sur les droits des patients.
In fine, le GBO/Cartel suggère également que soit réalisé un investissement public massif en des systèmes d’aide à la décision : informatique ou non :
- Il est important que soit étudiée l’implémentation des recommandations EBM dans les logiciels médicaux pour aider le praticien à améliorer la qualité des soins grâce à un soutien proactif et une aide immédiate. Cette aide à la décision doit être non contraignante et son utilisation renforcée par un incitant positif .
- Bien entendu, le soutien public doit être maximal dans les BAPCOP, CBIP, MINERVA, EVIKEY, CEBAM et autre FARMAKA.
Le GBO/Cartel rappelle aussi les instruments émanant d’initiatives privées pour soutenir la bonne prescription : les publications du GRAS (Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé) et la revue française « Prescrire » …
Les MG doivent pouvoir compter sur les universités pour les former à la «libre pensée scientifique» et les sociétés scientifiques de MG pour l’entretenir. Là aussi, le GBO plaide pour un soutien public maximal.
La liberté certainement, éclairée par le flambeau de la connaissance.