
Secret professionnel : pourquoi la transformation d’un droit en une obligation de signalement des violences est contraire à l’intérêt des victimes
Flash-info 56/25, publié le 23/09/2025
En tant que médecin généraliste, vous êtes souvent la première personne à qui une victime de violences intrafamiliales peut s’adresser. Et la personne la mieux placée pour reconnaitre les signes de violence ou de maltraitance. Pourtant, la volonté du gouvernement fédéral de transformer la possibilité qu’ont les médecins de rompre le secret professionnel pour dénoncer des faits de violences sexuelles ou intrafamiliales en une obligation de signalement va à l’encontre de l’intérêts des victimes. Un tel changement risque de mettre à mal la relation de confiance entre soignant et soigné, mettant un terme à la perception du cabinet de consultation comme un espace sûr et protégé par le secret professionnel.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Tout le monde s’accorde pour dire que, en tant que médecin généraliste, vous pouvez apporter une contribution importante à la lutte contre les violences intrafamiliales et à la prise en charge de celles-ci.
En 2018, l’Institut pour L’Égalité des Femmes et des Hommes et l’Ordre des médecins ont élaboré deux codes de signalement(1) visant à indiquer aux médecins comment aider au mieux les victimes de violences intrafamiliales sans perdre de vue leur déontologie. En mars 2024, la Campagne Opération alerte rappelait les tristes statistiques de l’OMS (qui estime que la violence, en particulier la violence domestique est, au niveau mondial, la principale cause de décès dans la tranche d’âge 15-44 ans) et le rôle primordial joué par les médecins généralistes dans la détection, l’écoute et la prise en charge de ces patients.
Alors qu’un atelier(2) donné dans le cadre du congrès de la WONCA qui vient de se clôturer à Lisbonne portait sur la violence familiale, et mettait notamment en avant l’importance que les patients identifient le cabinet de consultation comme un espace sûr et protégé par le secret professionnel, nos autorités risquent de mettre à mal cet indispensable prérequis à toute confidence.
En effet, la volonté du gouvernement fédéral(3) est de transformer le droit pour un médecin de rompre le secret professionnel pour dénoncer des faits de violences intrafamiliales en une obligation de signalement : « Les victimes de violences sexuelles ou intrafamiliales doivent toujours être protégées. Le secret professionnel ne doit pas y faire obstacle. C’est pourquoi dans la loi sur le secret professionnel, nous concrétisons la définition de “situation d’urgence”, avec de facto une obligation de signalement pour chaque citoyen et chaque travailleur social (à l’exclusion de l’avocat de l’accusé). »
Si l’intention semble louable au premier abord, le GBO/Cartel estime au contraire qu’un tel changement irait à l’encontre de l’intérêts des victimes.
Le secret médical, une notion irréfragable
Le secret médical est une notion irréfragable nécessaire à la sécurité du patient et du soignant. Cela signifie que la remise en cause de ce secret entraîne de facto une rupture de confiance dans la relation entre le soignant et le soigné. Si de quelques manières que ce soit, la confiance et la confidence ne sont plus garanties, la qualité du soin est en péril et les patients, victimes et coupables, perdent un lieu de référence où les faits et vécus traumatiques peuvent être confiés, décodés, compris, pris en charge.
Les médecins et autres soignants ont pour mission première d’amener les personnes à un soin optimisé. La règle du secret doit être la norme, et seules des menaces précises sur des tiers doivent pouvoir être prises en considération. En transformant une recommandation légale en une obligation, nous craignons que notre but premier, le soin dans les meilleures conditions, ne soit perverti par des obligations sécuritaires qui nous transforment en agent de la justice et de l’État. Les médecins se trouvent souvent au milieu de conflits dans lesquels ils peuvent être instrumentalisés. Si leur neutralité est remise en question, ils peuvent être entraînés dans des risques pour la sécurité des patients ou pour leur propre intégrité.
Rappelons que la majorité des faits de violence se déroulent dans des environnements proches du patient (famille, école, travail) et que les interventions mal documentées ou intempestives peuvent avoir des conséquences désastreuses.
En cas de violences sexuelles ou intrafamiliales
À leur sujet, l’Ordre des médecins énonce son avis circonstancié(4) :
« Sur base de l’expérience en cabinet médical, cette transformation d’un droit en obligation de signalement ne peut être justifiée que dans les cas de violence extra-familiale. Dans les cas de violence intrafamiliale, une obligation de signalement au procureur du Roi pourrait entraîner des conséquences néfastes, voire contre-productives : les parents qui maltraitent leur enfant ne laisseraient plus leur enfant se faire prendre en charge, car la confidentialité ne serait pas garantie ; les enfants maltraités n’oseraient pas se tourner vers les professionnels de la santé de peur que leurs parents soient poursuivis. »
L’avis de l’Ordre explique encore : « De nombreux médecins, pédiatres et pédopsychiatres en particulier, ont fait pression avec succès pour que les affaires liées à la violence intrafamiliale ne relèvent plus de la compétence des tribunaux, permettant ainsi de faciliter l’accès aux dispositifs d’aide, à condition que les « auteurs » respectent strictement le programme de soins imposé. Pour les violences intrafamiliales, la mise en place d’une obligation de signalement auprès d’une structure équivalente aux actuels centres de confiance pour enfants maltraités pourrait offrir une solution, à condition d’y apporter les aménagements nécessaires (détaillés dans son avis). »
Le cadre des soins en cas de violence intrafamiliale, la justice en cas de violence extrafamiliale ?
Le GBO/Cartel se rallie à la conclusion de l’Ordre concernant les violences intrafamiliales :
« D’une part, le secret professionnel ne doit pas être un obstacle au signalement de situations graves et, d’autre part, il reste la pierre angulaire du lien de confiance entre le médecin et son patient. La solution ci-dessus propose une obligation de signalement dans le cadre des soins pour les cas de violence intrafamiliale et au procureur du Roi pour les cas de violence extra-familiale. »
Cependant, il nous semble que l’obligation de signalement auprès du procureur du Roi pour les violences extra-familiale n’est pas souhaitable. Comme exprimé ci-dessus, cela risquerait de briser la confiance qui règne dans le cabinet du médecin généraliste. Dans quelques années, les victimes de violence n’oseront plus s’ouvrir à leur médecin de peur de se retrouver malgré eux dans des procédures judiciaires et n’auront, par conséquent, plus accès aux soins nécessaires (santé mentale et autres) pour se sortir des traumatismes engendrés.
(1) Le code de signalement violences conjugales et le code de signalement violences sexuelles
(2)
- Workshop WONCA 19/09/2025 : Making primary care a safe space for survivors of family violence (Speakers: Jennifer Neil, Sajaratulnisah Othman, Kelsey Hegarty, Elena Klusova Noguiná, Jinan Usta, Omneya Ezzat El Sherif, Elizabeth Reji, Nena Kopcavar Gucek, Wei-May Su, Raquel Gomez Bravo).
- Un retour de cet atelier a été publié par Carole Stavart dans MediQuality : « Comment les MG peuvent-ils aider les victimes de violence familiale ? (Congrès Wonca)
(3) Cf. Accord de coalition fédérale, p. 152-153
(4) La réforme du secret professionnel dans l’accord de gouvernement fédéral, avis de l’Ordre des médecins du 25/04/2025